top of page

Paysages 2009

Paysage transféré

Les photographies de cette série ne résultent pas d'une prise directe du réel. Elles procèdent d'un processus en plusieurs étapes : un négatif 6x6 a été scanné puis imprimé en positif. L'image a ensuite été photocopiée convertie en négatif, ré-imprimée sur papier machine, puis re-photographiée par contact sur papier argentique.

Ce trajet complexe engage une réflexion sur le statut de l'image : non plus captation mais déplacement, non plus instantané mais stratification technique.

Ce que nous voyons est donc une image différée, ou plus précisément transférée. Elle ne documente pas un réel mais un processus, une chaîne de conversions matérielles et sensibles.

L’image devient écran d’autre chose : non pas une scène, mais une mémoire des opérations qui l’ont rendue possible.

La logique de l'empreinte, propre au tirage argentique, est ici déplacée : on n'imprime pas la lumière d'une scène, mais le fantôme d'une impression antérieure. Ce n’est plus la chambre noire qui révèle, c’est le contact entre couches, entre systèmes, entre temporalités. L’image devient surface de frottement entre régimes du visible.

Ces tirages opèrent un double geste : il ramène l'argentique dans le numérique puis dans l’argentique, tout en déjouant la fidélité optique. La photographie n’est plus ici un enregistrement du monde mais une interrogation du dispositif photographique lui-même.

La dégradation inhérente à la ré-impression (la perte de définition, les artefacts du papier, les contrastes adoucis ou durcis) introduit une matière nouvelle : une esthétique du filtre.

Le dispositif devient producteur de formes. La frontière entre technique et poésie est abolie et ce que l’on voit ne renvoie à rien d’autre qu’à la photographie en tant que langage plastique.

Ce processus de translation fait de l'image un substrat pour la peinture.

Ce qui subsiste de la figuration, c’est un paysage minimal. Ligne d’horizon, césure claire entre deux zones : une encre de terre et un ciel lavé. Mais le paysage est ici réduit à sa plus simple expression : c’est un paysage-signe, un appel à l’imagination plus qu’une description du monde. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’une tache, d’un test de Rorschach, ou d’une trace géologique.

Ce basculement vers l’abstraction transforme l'image en espace de projection mentale: ce qui compte, ce n’est pas le lieu, mais l’intensité du seuil. La photographie devient atmosphère. Elle n'est plus représentation mais condition : condition d'apparition, de méditation, de perte.

Il ne s’agit pas d’un geste nostalgique, mais d’une re-qualification de la lenteur, de la matière, de la transformation.

Ce que l'image montre n'est pas un contenu, mais un mode d'émergence. Elle dit : une image n'est jamais donnée, elle est toujours construite. Elle porte les marques de son passage, les scories de son histoire, la fragilité de ses supports. Elle est le produit d'une traversée.

En ce sens, l'image n'est plus ce qui nous donne à voir un monde extérieur, mais ce qui nous oblige à repenser le régime même du voir. C'est une image de l'écart, de la distance, de la déviation. Une image qui pense autant qu'elle montre.

Cette photographie contact, issue d’une image numérique imprimée puis re-transposée dans la matière argentique, produit un type d'image instable, intermédiaire, qui n'appartient ni à l'âge analogique, ni à l'âge numérique, mais au passage entre les deux.

Elle convoque une mémoire des dispositifs, une poétique de la stratification, une esthétique de la latence. Elle ouvre un espace où la photographie, au lieu de représenter le monde, met en jeu ses propres conditions d'existence. 

C’est une image évidemment silencieuse, mais épaissie par toutes les images qu’elle contient et efface. Un lieu fragile, de retrait, de surimpression, et de suspension critique du regard.

bottom of page