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Drones - 2025

Les dessins des séries de Drones se présentent d’abord comme des  successions de lignes, sédimentations chromatiques où les couleurs jaune, noir, bleu, magenta, se superposent avec rigueur jusqu’à ce que le blanc ne vienne certaines fois estomper, non pas recouvrir, mais effacer doucement les traces du geste pictural précédent.

Cette structure linéaire n’est pas un simple agencement formel; elle propose une temporalité, une narration sans récit, où chaque couleur agit comme une strate d’un temps qui ne passe pas, mais qui se déplie.

Ce glissement d’un visible vers un presque invisible évoque les textures sonores de la musique drone dans sa manière d’imposer la durée comme matière plastique, presque palpable. Comme dans ses pièces sonores, il n’y a ici ni début ni fin, seulement l’insistance d’un présent qui se reformule à chaque regard. Quand il est présent le blanc, loin de clore, réouvre. Il ne recouvre pas : il suspend.

Réalités parallèles, strates de mondes superposés, dans ces dessins, la surface devient interface : chaque couche de couleur, même dissimulée, persiste comme une mémoire latente. Ce qui est effacé n’est pas détruit, mais relégué dans une dimension souterraine, comme des rêves disjoints  ou des fragments perceptifs épars où le temps s’effondre en lui-même.

C’est aussi une œuvre de perception différée, une hallucination douce où les références aux sons longs  ou aux nappes ambient participent de cette logique : une perception étalée, qui résiste à la saisie immédiate, comme si chaque ligne colorée portait en elle un contre-chant spectral.

Ces séries procèdent par dislocation contrôlée. Les lignes ne s’alignent pas pour créer une harmonie visuelle, mais pour produire des failles, des liaisons absurdes : les blancs comme espaces de fuite, les couleurs comme tentatives d’organisation du chaos.

L’œuvre est enfin profondément performative pour le regardeur. Elle ne se donne jamais totalement. Elle appelle, par sa structure même, une dérive où on ne regarde pas l'image mais on la traverse. Et ce faisant, on glisse de l’image vers un état, une expérience, où le temps, la mémoire, l’effacement, et la sensation de voir se mêlent en un unique battement chromatique.

Composant cette série, de Drones, les dessins de Déphasages s’inscrivent dans la même lignée des recherches plastiques portant sur l’interférence, la superposition et le mouvement latent.

À la différence des autres dessins de la série ceux ci se présentent sous forme de trames de courbes colorées se croisant selon des angles subtils. Mais très vite, ce qui semblait être un système régulier devient un champ instable, un espace de tensions où les lignes dérapent, créent des zones de moiré, de micro-battements visuels. Ce n’est plus une image, mais un champ d’ondes.

L’impression générale évoque une visualisation de fréquences en interférence, où des couches sonores ou spectrales, seraient traduites en lignes courbes légèrement décalées. Le blanc quand il est présent n’est pas ici une absence, mais une couche de brouillage, une interférence supplémentaire qui vient effacer tout alignement potentiel. Le regard se perd dans une stratification dynamique, comme si l’image se produisait sans jamais se figer.

Le titre Déphasage agit à la manière d’une clé de lecture sonore ou cinétique. Il faut entendre ce mot non seulement dans son acception physique (écart entre deux ondes de même fréquence) mais aussi comme une métaphore du rapport entre la perception et la réalité. Il s’agit d’un monde qui n’est jamais tout à fait synchrone, jamais tout à fait visible ou lisible d’un seul point de vue.

Le spectateur est placé dans une situation de flottement perceptif, de décalage actif, semblable à celui d’une oreille qui perçoit deux sons presque identiques mais dont l’interférence produit un battement vibrant comme dans les pièces sonores de l'artiste dans lesquelles les micro-écarts entre sons fixes engendrent des modulations internes. Les Déphasages transposent cette approche à l’image, faisant de la peinture un champ de résonances optiques où ce qui vibre n’est pas la matière mais le rapport entre les couches, entre les plans, entre les gestes.

Alors que le motif semble au départ structuré selon une logique rigoureuse (des courbes tracées selon des angles précis), l’ensemble produit une sensation d’instabilité. Le spectateur n’a aucun point de fixation, car l’œuvre se reconfigure à mesure que l’on y revient dans un état qui ne se fige pas, qui échappe à la saisie binaire, à la forme pleine, à la figure constituée.

Les variations d’épaisseur, de couleur et de courbure produisent une tension et une dérive optique, intérieure, perceptive. Le regard n’est pas guidé, il est pris dans une errance flottante qui interroge la possibilité même d’un cadre stable.

Dans cette œuvre, la temporalité n’est ni narrative ni figée. Elle est suspendue, stratifiée, comme si l’image captait les restes d’un mouvement qui aurait été ralenti à l’extrême. Le déphasage devient ainsi une forme de mémoire du geste, un enregistrement différentiel, une manière d’évoquer ce qui persiste après le passage.

Le dessin devient surface d’inscription, non d’un événement, mais de ses interférences différées, de ses glissements invisibles. On pourrait parler ici d’un temps vibratoire, un temps qui ne passe pas, mais qui pulse, rebondit, hésite.

Tout comme le regard qui cherche à comprendre, à démêler les couches, mais ne parvient jamais à une lecture claire. Le visible y est piégé dans une logique d’indiscernabilité : ni figuration, ni abstraction pure. On se trouve dans une esthétique de l’incertain, de l’ambigu où la perception n’est pas donnée, elle se construit dans l’écart, dans le pli, dans la résistance à l’apparaître.

Ces dessins prolongent et approfondissent les questions posées par les autres dessins de la série des Drones. Que se passe-t-il quand l’image n’est plus une représentation mais un espace de vibration ? Quand la couleur n’est plus une surface mais une onde ? Quand le visible devient une structure temporelle plutôt qu’un objet optique ?

Dans cette œuvre, la peinture devient ainsi le lieu d’un conflit doux – une lutte silencieuse entre ordre et décalage, entre signal et bruit, entre vision et diffraction. Le spectateur est convié non à voir quelque chose, mais à ressentir le léger flottement d’un monde dont les plans ne coïncident plus, comme si la logique du réel avait elle-même été légèrement déphasée.

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