Alexandre CAPAN
Faire
Au delà de l’aspect graphique de ces oeuvres c’est la question du travail de l’artiste et de son implication qui est posée par la volonté sans cesse remise en jeu [et dans l’idée de “remise en jeu” s’insinue également l’idée du jeu et de l’addiction à celui ci] de continuer coûte que coûte d’aligner un point après l’autre jusqu’à l’épuisement. Toujours recommencer, un peu à l’image d’un Gérard Gasiorowski, l’une des plus importantes influences de l’artiste.
Faire, travail de la main. Concentration et solitude. Répétition, accumulation.
Laisser aller
Un travail physique. Un travail de “recherche” également. Une recherche hasardeuse qui tient plus de la fuite en avant. Se jeter à corps perdu dans le travail et laisser aller.
Le point agrandi mène à la forme, non pas toujours parfaitement circulaire qui elle même évoque la forme d’une canette ou d’un gobelet écrasé. De là la trame qui constitue l’intérieur de cette forme et qui devient objet obsessionnel dans une tentative de maîtrise plus ou moins aboutie. Le trait évoquant par la suite l’ondoiement de l’eau pour finir par se re-décomposer dans un retour au point d’une part et dans un nouveau désir de surface, de peinture.
Renouveau de ce désir qui dès lors rejoint des attirances plus anciennes et d’autres travaux laissés en suspens - les photographies numériques/argentiques - ou tout simplement les dessins d’”hypothèses”. L’attirance chthonienne, toute matérialiste qu’elle soit. Le désir de sentir sous ses doigts la rugosité des pierres. Là ou le solide rencontre le liquide, où le papier soumis aux deux “forces” devient un nouveau monde [cartographies].
Laisser aller du pinceau puis glissement vers la maîtrise. Le découpage, une tentative de rationalisation qui aboutit bien entendu à un demi échec ou rien ne se passe comme prévu. Le papier, peint, découpé devient la base d’une photographie en noir et blanc et c’est le rebus qui devient la matière première de petites compositions abstraites qui se veulent tendre vers une sorte de monumentalité minuscule.
Geste
Le geste. La surface qu’il est possible de couvrir sans lever la main de la feuille de papier montre les limites du geste, reflet du corps de l’artiste. La trace comme mémoire (et dans les dessins de lignes, l’importance des intervalles entre celles ci comme des espaces de suspension du geste, de reprise du souffle - le temps encore. Michel Seuphor: " Je tire une ligne. Je tire une autre ligne, une autre encore et une autre encore. Entre les lignes, quelque chose se met à vibrer. Dans les espaces blancs, des formes prennent substance. Le non-écrit devient visible, le vide parle, l’inexistant paraît doué de sens.").
Faire advenir “l’image” par le simple fait de poser un point à côté d’un autre. Simple dépôt de minces touches d’encre formant une couche, une surface ouvrant sur la possibilité d’un nouveau lieu.
Pulsation, enregistrement par le geste de la main et le signe du flux de la pensée qui se matérialise dans les mouvements de la main par l’intensité de la pression, les variations et les tremblements, les lacunes et les discontinuités, tant dans les points que dans les lignes ou les trames.
Travail de la main d'où il résulte une irrégularité du signe laissant paraître tout à la fois, à partir d’un raisonnement de base (ici le choix du signe, là la façon de tracer) l’intention, l’ondulation de la fréquence psychique, l’instinct. La règle de base est contrariée et soumise à l’aléa, au hasard, à une certaine précarité de l’exécution, ces différents éléments induisant une oscillation constante dans le développement de l’oeuvre et des différentes séries.
Ainsi, la légèreté du geste et de la réalisation entre, certaines fois, en opposition avec une volonté farouche d’aller toujours de l’avant, jusqu’à l’épuisement. Hésitations, reprises, laisser agir et volonté de ne pas saisir et de ne pas définir. Ici, la relation étroite entre perception mentale et tension corporelle est mise au jour. Ce qui est donné à voir est le résultat du travail du corps et de la pensée.