
Alexandre CAPAN
Hypothèses / Paysages - 2011 - 2025

Les séries de dessins “Hypothèses” s’inscrivent en continuité de plusieurs travaux engagés depuis 2010 avec les séries de peintures et dessins “parages”, de photographies de paysages faites à partir de négatifs papier, de peintures pixélisées ainsi que des peintures a l’huile entamées dans le courant de l’année 2013.
L’observation de détails de rochers, de sols, la réutilisation de certains détails d’anciennes peintures mais aussi des expériences photographiques loupées ont peu à peu amené l'artiste à une pratique du dessin abordée de manière systématique et répétitive basée uniquement sur l’utilisation d’une technique pointilliste en noir et blanc.
Au final l’image a disparu, ne laissant place qu’à une zone indéterminée, entre effacement et apparition, se donnant à voir comme un espace vibratoire hors de toute perspective.
Ces dessins sont comme des hypothèses d’images qui oscillent entre cartographies étranges et paysages brumeux. Rapprochement et brouillage extrêmes induisent un floutage outrancier de l’image jusqu’à sa disparition. Instantané de l’espace de transition dans le ralenti extrême d’un film.
Autant de potentialités existantes entre la réalité et une zone indéterminée présente dans l’épaisseur du temps fixant le regard qui se perd dans l’indistinct.
Chacun de ces dessins est le résultat d’un geste répété, infiniment détaillé, presque ascétique, où chaque point est une décision microscopique. Le regard est immédiatement attiré par cette densité texturée, mais il ne peut l’embrasser d’un seul coup : il doit se déplacer, glisser, s’ajuster au rythme imposé par le dessin lui-même. L'œil suit la croissance de la forme, comme s’il remontait un processus géologique.
L’expansion de ces formes, depuis un centre ou un bord, rappelle l’idée d’une germination, d’une cristallisation lente. Il ne s’agit pas de remplir l’espace, mais de faire croître un champ de présence. Ce qui s’impose, ce n’est pas une image, mais un état — celui d’un rapport au monde qui s’élabore dans la durée, par insistance du geste, par accumulation silencieuse.
Chaque œuvre de cette série est un condensé de temps. Elle ne se donne pas à lire comme une représentation, mais comme un événement de durée. Le protocole est simple (encrer un point, puis un autre…), mais il produit une complexité visuelle et mentale considérable. Le dessin devient un enregistrement rythmique du corps, une traduction de la durée intérieure.
La forme qui émerge du pointillisme n’est jamais stable ni géométrique. Elle se déploie par zones, selon des logiques de densité, de proximité, parfois d’accident. Le fait que tu partes du centre ou du bord donne à chaque dessin une géométrie implicite, un mouvement d’extension ou de compression. Cela produit des œuvres qui ressemblent à des cartographies mentales, à des nappes de perception, des zones sensibles où l’image semble émaner de la feuille elle-même.
Ces formes rappellent les images issues de microscopie, de vues aériennes, ou même de cartographies fictives, à la manière de Borges. Mais elles restent indéterminées, ouvertes, résistant à toute fixation interprétative. Ce sont des figures du presque, des hypothèses visuelles.
Ni figuratif, ni abstrait, ni décoratif, ni conceptuel. Ces dessins sont tout cela à la fois — ou plutôt : à côté de cela. Comme le neutre chez Barthes : une manière de suspendre les oppositions, de tenir les pôles, sans jamais trancher. Le dessin n’explique rien. Il tient. Il prolonge. Il persiste.
Cette esthétique du neutre renforce l’engagement temporel de l’œuvre : le point n’a pas de direction, pas de programme. Il est juste là, comme trace d’un corps qui persiste à faire, dans une fidélité sans intention.
Dans la série "Les jours", c’est le rapport entre discontinuité et continuité qui est au centre de la recherche: chaque feuille est isolée, mais ensemble elles forment une suite, presque comme les mesures successives d’une partition ou comme les strates d’un journal de travail.
Le fait d’avoir choisi de recommencer chaque jour sur une nouvelle page, plutôt que de densifier la première, inscrit l’œuvre dans un régime temporel où chaque dessin devient l’empreinte d’un instant, d’un geste et d’un souffle spécifique, sans volonté d’accumulation continue comme cela est le cas dans les autres dessins de ces séries.
Ce choix produit une temporalité fragmentée mais qui, paradoxalement, met en évidence une lente répétition : les formes nuageuses, issues de milliers de points, se ressemblent, varient légèrement, se modulent comme des vibrations d’un même bourdon sonore. Cela fait écho à la logique du drone en musique : on ne progresse pas vers un développement ou une résolution, mais on habite la durée, on explore les micro-variations internes d’une texture stable.
Visuellement, ces nuées noires flottant au centre de la page se rapprochent de phénomènes météorologiques ou cosmiques (amas de matière, nuages, fumées, brouillard, nébuleuse). Mais le fait que chaque apparition soit consignée sur une nouvelle feuille les rapproche aussi d’observations quotidiennes, comme si chaque dessin était un relevé atmosphérique intérieur, un état de perception ou de méditation.























