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De fugue en fugue

Fabienne Grasser-Fulchéri

Catalogue de l'exposition Fugues au CIAC - Château de Carros - 2021-2022

Dès l'énoncé du titre de l'exposition Fugues, Alexandre Capan donne le La, tout en insinuant l'air de rien un léger doute sur la teneur exacte de ce que l'on est censé découvrir... Est-ce une incitation à sortir de son environnement familier, de son habitus, c'est-à-dire sa manière d'être ?
Une invitation à opérer une fuite en avant pour mieux plonger dans un univers artistique en perpétuel mouvement ?


Ceux qui connaissent les espaces du Centre international d'art contemporain de Carros savent que la montée des escaliers menant au 1er étage du château est particulièrement propice à ces questionnements qui assaillent le visiteur curieux de découvrir enfin de quoi il retourne. Le seuil enfin atteint ; le regard se porte sur les 1ers indices visuels laissés par l'artiste : une peinture peut-être ou bien encore un dessin, non peut-être une photographie ? Alexandre Capan se plait à nous perdre pour mieux retenir sans doute notre attention et aiguiser notre vigilance. Les titres des œuvres présentes dans la salle lèvent finalement assez peu le voile : « Faux semblants » ou bien encore « Parages »... Le regardeur ne s'appuie que sur bien peu de certitudes pour définir à la fois le sujet et le médium de ce qu'il a devant lui. Parfois, la notion de « paysage » apparaît comme un dernier rempart face à l'inconnu. Comme autorisé à voir jaillir des images, notre cerveau nous propose des visions de rochers , une nature plus ou moins sauvage, une forêt, des feuillages, un plan d'eau mais peut être aussi un registre plus organique.

 

Le sujet est-il finalement si essentiel ? Alexandre Capan se réfère souvent dans son travail à la nature. Elle est sans conteste pour lui une source d'inspiration mais ce qui semble être au cœur de sa démarche c'est le processus de fabrication de l'image. L'artiste puise la plupart du temps son sujet dans ce qui l'entoure : des paysages familiers, le fruit de ses récoltes... : des éléments somme toute banals qui pourtant sont à la fois uniques et universels. Quoi de plus singulier et en même temps archétypal qu'une pierre, un rocher ? A partir de là, Alexandre Capan met en place un système de protocoles visant à effacer la référence à l'image originelle et à la façon dont cette image a été produite. Pris dans cette double tentative de déstabilisation, le regardeur ne peut qu'émettre des hypothèses sur ce qu'il voit. L'œuvre donne à voir en surface une image mais ne révèle pas les strates sous-jacentes de sa réalisation. Combien d'étapes ont-elles été nécessaires pour aboutir à ce que nous avons sous les yeux :
quelle est l'image source ?


Dans un espace attenant, comme une anfractuosité dans la salle, il n'est pas anodin de découvrir une vidéo-projection qui vient encore renforcer cette interrogation. L'œil comme un papillon se prend dans les filets de cette lueur vibratoire, ces jeux d'ombre et de lumière préparent le visiteur à une expérience perceptive multi-sensorielle car très vite, quasi-simultanément le son vient nous saisir par l'oreille pour nous emmener ailleurs.

On découvre alors une installation composée de 24 pans de papiers de riz qui se déploient verticalement et semblent suspendus dans l'air. Ces lés de papier recouverts de peinture forment un labyrinthe délicat. On devine la trace d'un large pinceau, le dépôt de la matière picturale, des pigments noir qui perdent en intensité en s'étirant sur la surface du papier, puis se superposent et recouvrent de la densité. Le son et la lumière baignent l'ensemble créant une atmosphère diaphane. Le titre de l'exposition « Fugues » nous revient alors comme un refrain et la référence musicale nous éclaire enfin sur une nouvelle interprétation possible... Si la nature est une composante importante chez Alexandre Capan, la musique ne l'est pas moins, comme la littérature d'ailleurs souvent associée à ces recherches. Dans ce cas précis, c'est un poème d'Henri Michaux qui sert de point de départ à une nouvelle proposition sonore. L'artiste développe en effet depuis plusieurs années, simultanément à son travail plastique, une pratique liée au son et à la musique. Cette démarche à l'origine complétement autonome est devenue indissociable de ces autres travaux.


Ces déplacements et cette porosité qui relient l'ensemble de ces œuvres créent une unité qui transcendent l'apparente diversité des médiums et formes convoqués. Comme au sein d'un orchestre, chaque série joue sa partition en harmonie avec les autres. L'exposition présentée dans ces lieux est en parfaite adéquation avec la façon dont l'artiste procède au sein même de son travail. Chaque salle possède son univers propre, son intime vibration, sa respiration, sa musique ou son silence.


La couleur, discrète mais de plus en plus présente dans le travail d'Alexandre Capan, vient souligner ce désir d'embrasser le monde. Cette volonté de se relier à la mémoire des images, à ces traces fugaces que nous tentons de retenir mais qui s'échappent dans la dissolution du temps.


Puis de fugue en fugue, à la fin de ce parcours, on est tenté de retourner dans l'atelier de l'artiste, de se pencher au dessus de son épaule et d'accompagner du regard ce geste répété des milliers de fois : un point après l'autre, un trait ou une ligne... Un déroulement plus linéaire, que celui que nous avions traversé jusqu'à présent, nous est proposé. Les strates de l'image qui nous invitaient à pénétrer à l'intérieur de l'oeuvre ont laissé place à un fil d'équilibriste. Un signe réduit à sa plus simple expression, un point qui ne scelle pas la fin d'une histoire mais ouvre une infinité d'espaces.


Fabienne Grasser-Fulchéri

Directrice de l'Espace de l'Art Concret - Mouans Sartoux

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