Alexandre CAPAN
Comme des pierres de Rosette
Un artiste commence toujours, et a toujours déjà fini. Son parcours réside dans chaque moment de son périple. Cela devrait apparaître comme une énigme que chaque peintre se sente obligé de produire plus d’une toile, que l’œuvre d’un écrivain n’arrive pas à être contenu dans un livre, qu’un cinéaste ne laisse pas un film unique à la postérité.
Pourtant, dans le cas d’Alexandre Capan, on saisit vite que l’accumulation des images vise à constituer l’architecture d’un seul et même récit. Ce récit est plutôt filmique. On pressent qu’il pourrait s’épancher sur un versant plus littéraire, mais qu’un mélange de pudeur et de modestie, le bloque sur cette pente-ci. Le résultat en est d’autant plus émouvant, touchant pourrait-on dire. Parce qu’il est frappé au sceau d’un laconisme qui confine au mutisme.
C’est, semble-t-il, cette défiance vis-à-vis des énoncés qui prive les toiles de leur titre respectif. Or cet embarras avec le texte apparaît là comme un handicap merveilleux. L’image s’en trouve comme densifiée, compactée. Tout n’est pas dit à l’endroit de l’image, en cela qu’elle n’apparaît pas légendée. Là où elle se durcit en insularité, en autarcie iconographique, elle favorise paradoxalement le foisonnement des fictions envisageables.
C’est ce qui permet à un portrait de jeune fille répondant au doux nom de Valentine d’être relié à une peinture représentant un char d’infanterie anglais de la Seconde Guerre mondiale entré en guerre sous le nom de Valentine.
Il y a surtout, dans l’univers d’Alexandre Capan, une mélancolie qui soupire, toujours présente sans jamais être démonstrative, et qui pointe aux jointures imparfaites, qui grincent et supplient, du corps et de l’esprit. Les jointures en question, réunies par un trait comme ces points chiffrés qui finissent par dessiner un objet ou une figure, esquisseraient à coup sûr la silhouette du monstre de Victor Frankenstein ou l’intrigue du roman de Mary Shelley, tous deux « hideuses progénitures ».
Les monstres renvoient à la société sa propre image : l’exclusion préside au contrat social. Et puis il y a ceci, que les Prométhée sont toujours modernes, qu’ils sont condamnés, c’est-à-dire cantonnés à cette modernité, à un temps qui relève sans échappatoire du mythe. Le contemporain leur est interdit. Dans le temps du récit, de leur légende enfin révélée, ils sont quant à eux dans le temps de leur supplice, de leur souffrance, de leur punition. Tous les Christ, c’est-à-dire Christ et ses précédents archaïques, portent le feu, le fer, les outils de puissance à la seule fin de construire leur propre bûcher, de bâtir l’échafaud qui verra leur disparition. C’est ainsi que John Donne voit en Christ le premier suicidé, qui choisit le monde pour y subir son supplice. La Parole portée par le Messie est le feu même de son calvaire, lui-même sans fin.
Jean Yves Jouannais. 2012